FORUM XXX À MONTRÉAL

forum xxx

du 18 au 22 mai 2005
organisé et réalisé par l'association Stella
www.chezstella.or
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Rapport officiel et subjectif de
Nuttella de Lirio sur le Forum XXX

Le Forum XXX était différent de tous les colloques sur la prostitution ou le travail du sexe auquels j'avais pu participer jusqu'à présent. Normalement ce sont des universitaires qui font leurs conférences de «spécialistes» et invitent aussi quelques prostituéEs pour faire joli. Mais cette fois, 80 % des participantEs étaient des personnes directement concernées.

Pour être accepté, il fallait envoyer un petit dossier de demande de participation. Voilà les quelques lignes que j'avais écrites pour me présenter:

«Au début j'avais 14 ans, et maintenant ça fait 20 ans que je travaille comme prostitué (rue, bar, sauna, bordel, appartement privé) et c'est mon seul revenu depuis plusieurs années. J'ai toujours été intéressé à partager mes expériences, notamment dans le cadre d'ateliers autogérés par des garçons prostitués dont j'ai pris l'initiative en Suisse, en France, en Allemagne. Issu du milieu squat militant de tendance anarchiste, j'ai publié des articles sur la prostitution dans la presse underground. Dans le cadre de mes études universitaires en linguistique et littérature, je me suis spécialement intéressé aux sujets de féminisme, sexualité et identité, etc. A partir de 1998 (où j'ai participé à un colloque organisé par ASPASIE.ch à Genève, ainsi qu'à la Conférence Mondiale du Sida, invité par INSWP.org) j'ai commencé à participer à des colloques régionaux et internationaux. Très déçu de la collaboration hiérarchisée avec les salariés dans de nombreux projets subventionnés (surtout enmp.org), j'ai arrêté de participer aux conférences. Mon truc c'est plutôt l'autogestion des personnes prostituées. J'ai trouvé très encourageant à ce niveau les initiatives prises lors des rencontres QUEERUPTION ces dernières années (à Londres, Berlin, Amsterdam). Le Forum XXX m'intéresse fort car je pense pouvoir y trouver un autre dynamisme, celui que je n'ai pas trouvé ailleurs, afin de politiser mes activités et mon identité de prostitué.»

 

Avant le Forum XXX...

Je suis arrivé à Montréal douze jours avant le Forum XXX. J'avais envie de prendre le temps d'explorer cette grande ville fascinante. J'étais logé chez des membres des Panthères Roses, un groupe queer radical montréalais, qui m'ont fait découvrir les milieux alternatifs locaux. Les Panthères sont très copains-copines avec Stella et soutiennent régulièrement ses actions publiques. J'étais donc bien tombé, j'ai accroché de suite avec ces gens adorables.

A dix jours du Forum, Stella informe les Panthères Roses que des abolitionnistes prévoient une conférence contre le travail du sexe et ceci le même jour et dans le même bâtiment que la grande conférence du Forum XXX, c'est-à-dire le premier jour du Forum. Avec les Panthères Roses on a tout de suite envie de préparer une action. Mais quelle genre d'action? Qui sont ces abolitionnistes? Probablement ce sont surtout des féministes abolitionnistes, ce qui complique la chose. Ça aurait été plus facile d'avoir à faire à la droite réactionnaire, au moins on aurait eu un vrai ennemi politique. Mais même abolitionnistes, des féministes ne sont pas vraiment la cible idéal pour une action surprise. Avec les Panthères Roses, ça discute dur, on se casse la tête.

On n'est plus qu'à quelques jours du forum quand soudain on apprend que les abolos renoncent à leur conférence. Mais alors vont-elles/ils débarquer à la grande conférence du Forum XXX pour la perturber? Pour les Panthères Roses, il est évident qu'il faut être présentEs et qu'il faut se faire remarquer. Finalement on décide de faire une action plutôt ludique: à l'entrée de la grande conférence, chaque personne sera invitée à marquer sa solidarité avec Stella par un timbre-patate rose en forme de patte de panthère sur une grande toile. Les personnes qui s'y refusent seront marquées d'une autruche sur un petit billet qui leur sera collé discrètement dans le dos. Bref, l'action fut bien drôle et finalement très gentille.

 


Le début du Forum XXX...

C'était alors le premier jour du Forum XXX et ça commençait par un apéro en fin d'après-midi. J'ai retrouvé plusieurs travailleuses du sexe que j'avais rencontrées lors d'autres colloques ou rencontres. Ensuite tout le monde s'est rendu à la grande conférence qui était le seul événement public de tout le Forum. Lors de son discours d'ouverture, la directrice générale de Stella a expliqué que ce forum était le fruit de deux ans de préparation et qu'il avait fallu lutter jusqu'au dernier moment pour qu'il puisse se faire. En effet l'UQAM (c'est l'Université du Québec à Montréal qui est l'une des quatre universités locales) a failli céder aux pressions extérieures contre le Forum XXX encore deux semaines auparavant. Eh oui, c'est le paradoxe totale. C'est subventionné avec de la thune publique tandis que le travail du sexe est parfaitement criminalisé au Canada.

La grande conférence publique de ce premier jour ne m'a pas tant enchanté. Il n'y avait rien de nouveau pour moi. C'était une sorte de manifestation où il s'agissait de répéter une fois de plus à quel point les travailleuses du sexe (tous genres et sexes confondus) souffrent des contraintes sociopolitiques. J'ai trouvé un peu dommage que certaines contributions consistaient simplement à la lecture de textes qui étaient certes bien construits mais qui ne réussissaient pas vraiment à entraîner le publique. Bon, des conférences de ce genre, il en faut bien, c'est un moyen politique important. Et quant à celle en question, ça s'est très bien passé. Côté abolitionnistes, il n'y a finalement eu qu'une seule intervention lors du débat avec le public.

 

La suite du Forum XXX...

Les deux jours suivants commençaient par des pléniaires thématiques dans la matinée. La délégation suisse était fort impressionée et même émue, entre autres, par les les personnes d'Inde représentant une association de 65000 travailleuses du sexe, ou encore par les travailleuses amérindiennes. L'après-midi était réservé à des ateliers en plus petit comité. Dans les deux ateliers auxquels j'ai participé, je me suis senti un peu perdu. J'étais prèsque le seul garçon et presque le seul étranger et ça parlait surtout du contexte canadien. Mais malgré cela, j'ai bien aimé écouter les autres parler de leurs expériences.

 

Entre garçons...

Les garçons qui tapinent étaient plutôt rares au Forum XXX. Un garçon de Suéde, un autre d'Afrique, moi de Suisse, les autres des États-Unis et du Canada, une dizaine au total, tous des garçons bio, aucun F-to-M. Pour la grande majorité, le tapinage constitue un revenu supplémentaire, rares étaient ceux qui se voyaient comme professionnels. On n'étaient seulement deux garçons à avoir plus de trois ans d'expérience.

Un soir, un petit atelier de garçons non mixte et «off» a été initié par Patrick, un ex-tapin montréalais qui est devenu travailleur social. Cet atelier consistait à une visite guidée nocturne du travail du sex masculin de Montréal. C'était très intéressant, varié et bien commenté. On a visité des bars à danseurs nus, des cinémas, trottoirs, sex shops et aussi «le Local» qui est le drop-in-center pour les garçons, fréquenté surtout par des tapins usagers de drogues. Cet atelier nocture était une bonne occasion pour discuter entre garçons. Il se trouvait que personne ne se retrouvait entièrement dans le terme «travailleur du sexe». Les participants de l'atelier se sentaient plus proches des termes comme «pute» ou «tapin» car il semblait que les garçons auraient plutôt tendence à excercer la prostitution pour justement ne pas s'intégrer au marché du travail.

Le lendemain plusieurs personnes M-to-F et plusieurs garçons avaient envie de discuter en non mixité. Malheureusement il n'y avait pas de salles disponibles pour ces deux ateliers qui devaient alors se dérouler dans un coin d'un grand espace bien bruiant. L'atelier des garçons fut assez superficiel et il en est pas sorti grand-choses. Personnellement je ressentais bien plus d'affinités avec des filles qu'avec des garçons à ce Forum. Oui, j'étais même un peu déçu de n'avoir pu trouver plus d'inspiration chez les garçons.

 

La fin du Forum XXX...

Lors de la dernière pléniaire thématique, une personne de la Nouvelle Zélande présentait les efforts de légalisation dans son pays ce qui fut très enrichissant. La délégation suisse s'est alors dit qu'elle pourrait, pour une prochaine fois, préparer un exposé sur la situation en Suisse.

Une conférence de presse fut le dernier happening. En levant le poing, Claudette de Genève, doyenne de tout le Forum, a annoncé, devant les caméras, des actions publiques devant les ambassades des pays abolitionnistes, notamment devant celui du Canada en Suisse. Je trouve que c'est une très bonne idée... à suivre.

La grande soirée de clôture s'est déroulée dans une magnifique salle de théatre transformée. Et ce fut grandiose. Tout le monde était plein d'émotions après ces quelques jours bien intenses. Des spectacles tantôt drôles, tantôt émouvants, souvent d'un esprit militant, se poursuivaient pendant plus de deux heures. Comme à bien d'autres, il me fallait chialer un bon coup avant de me défouler ensuite sur la piste de danse. A la fin des spectacles c'est un concert de percussion qui fait vibrer la salle. J'essaie de repérer Claudette dans la foule. Enfin mon regard la trouve au beau milieu de la salle où elle danse parmi les plus électriséEs juste devant les tamtams animés par des garçons aux torses nus. Elle est incroyable. Pour ce Forum, et je le crois sincèrement, sa doyenne était un symbole d'espoir.

 

Mon bilan personnel...

Pour moi, le Forum XXX a été une expérience formidable. L'ambiance générale etait extraordinaire et les rencontres avec les gens étaient pleines de sensibilité émouvante. On se sentait très vite proches les unEs des autres. On n'avait pas besoin de se raconter nos biographies toujours difficiles et douloureuses, on savait tout simplement que les parcours avaient été longs pour en arriver là à ce Forum et cet acquis permettait une profondeur instantanée des rencontres. Mais je me sentais aussi un peu en décalage dans ce milieu à dominace féminine hétéro.

 

Quelques aspects terminologiques...

Semblable à la France, le Canada est un pays abolitionniste par rapport au travail du sexe. Le débat publique y est souvent dominé par la parole des féministes abolitionnistes. Au Forum XXX, on utilisait presque exclusivement le terme «féministes» pour désigner ces abolitionnistes. Je trouve cette abréviation difficile voire dangereuse car on risque de se tromper d'ennemi. Ce n'est pas contre le féministe qu'il s'agit de se battre mais contre l'abolitionnisme. Il m'importe beaucoup de bien différencier les choses.

Je reconnais que le terme «travail du sexe» est la possibilité politiquement correcte pour désigner mon activité. Activiste queer, je choisis par contre de me revendiquer «pute» ou «prostitué» car c'est un acte politique de s'approprier la terminologie de l'oppression pour la mener à la dérision et ça se pratique depuis les années 68. Je fais d'ailleurs de même avec les termes «queer» et «pédale» qui sont généralement des insultes.

 

Merci...

Je tiens à remercier l'association ProCoRé (Prostitution, Coordination, Réfléxion) pour son amour et son soutien.