DES TRANSPÉDÉGOUINES
DANS LES LUTTES ALTERMONDIALISTES,
POURQUOI?

_TEXTE ÉCRIS EN COLLECTIF PAR LES PANTHÈRES ROSES- PARIS

 

L'ordre moral est une oppression indispensable au maintien du capitalisme. Son renforcement est à l'ordre du jour en France. Il fait partie de la panoplie des oppressions et, comme les autres oppressions, il sert à exclure et donc à diviser. Il génère de grandes violences à l'encontre des "déviants". Associé au marché, il tente de réduire les luttes de libération transpédégouines à d'étroites fenêtres de tolérance. L'ordre moral est un pilier de ce monde qui ne tourne pas rond et le combattre est une nécessité. Nous devons organiser la résistance de façon autonome et nous insérer dans les combats du mouvement social.

1. L'ordre moral, oppression indispensable au maintien du capitalisme

Le libéralisme est un système économique et politique dont les impératifs aboutissent au démantèlement de l'Etat social. Les carences qui en résultent nécessitent de renforcer un ensemble de valeurs pour contenir la colère issue des violences faites aux populations. L'ordre moral, en particulier via le renforcement du rôle de la famille, participe à ce projet de façon centrale.

Une illustration de ce mécanisme est l'alliance systématique des libéraux avec les conservateurs : l'idéologie (la "morale") est le seul moyen pour tenter de faire passer les pilules amères des régressions sociales.

En France, après un an de gouvernement de droite, le renforcement de l'ordre moral est de plus en plus flagrant. Il se fait   sur plusieurs fronts :

- Contre les prostituées : descentes de flics sur les lieux de prostitution, procès de Bordeaux punissant les clients, arrêtés municipaux d'interdiction de la prostitution en juin (Aix en Provence, Orléans et Strasbourg), débat des élus à Paris (abolitionnisme contre « maisons closes »), et maintenant, mise en application des lois Sarkozy avec les premiers emprisonnements de prostituées pour « racolage passif ».

- Contre la création culturelle : discussions pour censurer le roman « Rose bonbon », discussions et censures de films (Baise moi !), interdiction des "raves" et confiscation du matériel.

- Contre les jeunes : centres fermés de détention pour mineurs délinquants, menaces de suppression des allocations familiales pour les familles de délinquants.

- Remplacement des emplois jeunes et surveillants de l'Education nationale par des « mères de famille » et des retraités. C'est à dire un renforcement du rôle des familles dans l'éducation et la réaffirmation de la nécessité de l' « autorité parentale » : renvoi dans la sphère privée.

- Contre les lgbt et féministes : éviction de la Cadac et de l'APGL au profit de deux associations catholiques familialistes (boutinistes). Inscription des enfants morts-né dans le livret de famille. Tentative de faire du foetus une personne par le biais d'amendements au projet de loi sur la sécurité routière au Sénat en mars dernier.

- Menaces sur les subventions de prévention et de lutte contre le Sida et contre la toxicomanie.

La force et les effets des attaques sont variables (descentes policières et Cadac-Apgl par exemple), mais on y reconnaît une logique commune : la défense d'une société unicolore bien-pensante niant ses contradictions et s'opposant aux personnes et actes "déviants" de cette morale.

Ces actions politiques et policières, comme les projets et modifications législatives, s'inscrivent dans une situation politique nouvelle tout en se situant dans la continuité des désengagements politiques de la "gauche plurielle".

La campagne électorale présidentielle 2002 a été particulièrement marquée par une hystérie sécuritaire, qui permet de justifier   aujourd'hui toute une série de mesure.

Mais en plus, cette politique s'inscrit dans la suite des politiques timorées, voire des renoncements, de la gauche : pour ce qui concerne les lgbt, refus de réviser les lois concernant la famille, notamment celles régissant la parentalité, refus de faire évoluer le Pacs vers un contrat proche du mariage (droit au séjour des étrangers, délais d'imposition, parentalité). Absence d'engagement pour inscrire dans la loi la condamnation des violences dont sont victimes les lgbt (loi contre l'homophobie, lesbophobie et transphobie).

Une mesure a été prise au dernier moment concernant les étrangers pacsés avec un résident français, mais cette action très fragile est remise en cause et met en danger la situation d'étrangers dans des couples binationaux. Des points épars tentent de donner le change : la discrimination des lgbt au travail est légiférée, la plupart des associations peuvent maintenant se porter partie civile pour des crimes motivés par une discrimination fondée sur la race, le sexe ou les moeurs.

Cette (non-)politique menée par la gauche plurielle a été justifiée grâce aux concours d'"experts" divers déformant la notion d'ordre symbolique pour justifier le refus de nous accorder de nouveaux droits ou d'étendre les anciens. Ce puritanisme sous couvert de science a autorisé et justifié tous les renoncements et a prouvé combien la gauche plurielle subit sans le combattre l'ordre moral, et donc le défend.

2. Exclure

L'ordre moral définit le prototype de l'individu dans la société. La famille et l'oppression des hommes sur les femmes sont au centre du modèle. Les assignations au "bon" genre et à la "bonne" sexualité sont au coeur de la norme. Le bon genre est le sexe biologique de naissance, le sexe masculin étant plus valorisé que le féminin. La « bonne sexualité » se passe dans les chambres à coucher entre personnes qui vont "naturellement" ensemble, c'est à dire un homme et une femme majeurs, de préférence mariés. Chaque culture développe ensuite ses propres raffinements autour de la supposée "naturalité".

Celles et ceux qui ne rentrent pas dans le moule sont stigmatiséEs : chez nous il s'agit de la vieille fille ou du vieux garçon, des libertin-e-s ou hédonistes pour reprendre la formule consacrée par nos puritains de droite et gauche, des gais et des lesbiennes, des trans, bref, des autres. Celles-la et ceux-là ne suivent pas la nature (il y a peu de temps que l'expression contre-nature est tombée en désuétude), ou bien sont des êtres psychologiquement déviants. La procédure pour accéder au changement juridique de sexe illustre ces deux dimensions à la fois : la décision du tribunal pour un changement d'état civil s'appuie sur des expertises médicales et psychologiques. Il s'appuie à plein sur l'ordre moral, y compris par les moyens les plus violents.

Il faudrait donc faire disparaître ces mauvais modes de vie, "minoritaires" et pas "naturels".

3. Diviser

Chacun-e est incitéE à s'identifier à la normalité par des pressions constantes : modèles de consommation, d'esthétique (la poupée Barbie)... tous les outils de la société libérale sont mis à contribution avec la plus grande violence... et il devient impossible d'y répondre, quelle que soit la bonne volonté des individus : il est aussi impossible d'être un vrai homme que d'être une vraie femme, et, si on ne le sait pas, la quête de l'inaccessible renforce l'adhésion aux clichés pour (se) faire croire qu'on l'est quand même.

La norme étant par principe inaccessible, dans la quête de cette identification impossible, un des chemins les plus empruntés est la stigmatisation des déviants : de celles et ceux qui ne peuvent pas - c'est à dire qui ont reconnu ne pas pouvoir - ou ne veulent pas de cette vie idéale qui leur est imposée.

Pour se rendre plus proche de la norme, pour se sentir dedans, rien de tel que le rejet des autres : "je ne suis pas comme ça". En fait, les catégories hors normes n'existent que pour justifier l'existence du groupe dominant. L'homosexualité est uniquement définie pour ne pas définir l'hétérosexualité.

Mais il faut quand même gérer les contradictions induites : la répression de la sexualité justifie par exemple la prostitution, elle même réprimée, mais tolérée à la fois parce qu'elle serait nécessaire à l'assouvissement des « pulsions » masculines irrépressibles et naturelles. (à compléter)

4. Les effets

Ainsi un des effets de l'ordre moral consiste à   désigner des   groupes hors normes et à les poser en bouc-émissaires. Car la violence est intrinsèquement liée à cette division : moqueries, tabassages, assassinats... sont le prix à payer pour se sentir "normal".

La logique de l'insulte ("sale pédé") est la même   que celle du viol de représailles subi par les lesbiennes : si tu es un homme tu dois être viril, si tu es une femme tu appartiens aux hommes.

Lorsque des militants d'extrême droite assassinent un pédé sur un lieu de drague à Reims (septembre 2002), quand un individu poignarde le maire de Paris parce qu'il "n'aime pas les hommes politiques et les homosexuels", c'est l'homophobie de la société qui s'exprime. Ces actes n'auraient pas cours sans l'approbation collective muette. Ils sont issus de la permissivité, voire de l'encouragement, à l'égard des actes et propos homophobes : lorsque l'émission radiophonique « Les grosses têtes » (pour ne citer qu'elle mais les exemples sont nombreux) distille à longueur d'ondes des propos sexistes et homophobes, lorsqu'on entend dans des cortèges du mouvement social des « enculés » ou « sales pédés » destinés aux ennemis politiques, l'assentiment collectif aux phobies des « contre-nature » est donné.

Un autre effet est la mise en danger des personnes. Lorsqu'on interdit des raves-parties et que le matériel est confisqué, toute l'énergie passée à éviter la menace policière n'est plus déployée pour faire le testing des drogues qui circulent. Les justifications morales qui amènent à ne pas faire de prévention Sida et IST ou d'éducation à la sexualité (ou à en faire de façon tellement   aseptisée qu'elles sont inefficaces) mettent des personnes en danger : la recrudescence de la contamination par le sida en est la triste preuve. Et ce   relâchement n'est pas le seul fait des pédés, mais bien de tout le monde.

Lorsqu'on condamne les clients des prostituées, qu'on "nettoie les trottoirs" comme ils disent, que des arrêtés anti-prostitution sont pris, cela a l'apparence de l'efficacité. La réalité c'est que les prostituées devront se cacher, s'isoler encore plus, subir la loi des proxénètes et être de plus en plus exposées à la violence.

Quand on insulte les pédés, les gouines, les trans, on expose des personnes à la honte d'eux-mêmes qui peut les mener à de graves prises de risque pour leur vie (sida, suicide...). D'ailleurs ce n'est pas anodin que les mesures répressives liées au renforcement de l'ordre moral s'accompagnent le plus souvent de diminution massive, voire de disparition, des crédits alloués à la prévention.

On pourrait malheureusement passer des heures à cette litanie des violences faites aux "déviants".

5. Des luttes de libération homosexuelles au « gay, blanc, parisien, de classe de moyenne qui consomme dans le marais »

Combat premier des militants des années 70 (GLF aux USA et FHAR en France, notamment), la visibilité des gays est des lesbiennes a connu une transformation flagrante au cours de ces 30 dernières années.

Le premier enjeu était de sortir du placard, de faire émerger l'homosexualité dans les débats publics par les gouines et les pédés elles-mêmes, refusant ainsi de laisser le monopole du discours sur l'homosexualité aux curés, aux psys et autres moralisateurs.

Ce combat s'est traduit par une visibilité croissante des personnes « homosexuelles » puis de leurs modes de vie.

Le premier pas étant « je suis gouine ou pédé, j'existe », les années 70 ont permis un début d'organisation politique des gouines et des pédés qui s'est traduit par la création de structures dont l'objet central était la place des gouines et des pédés dans la société hétéronormée, ainsi que la critique de cette dernière.

La dépénalisation de l'homosexualité, c'est à dire l'arrêt de la répression légale, a ouvert les années 80.   Ce fut une vistoire vécue comme telle tant par les militantEs que les autres gouines et pédes. Par la suite, une perte de vitesse des mouvements politiques s'est accompagnée de la création de lieux communautaires : bars, boîtes, lieux de sexe... sortis de la clandestinité d'antan. Leur développement a pu être vécu comme un aboutissement des combats politiques passés (ce qui ne signifie en aucun cas que les questions politiques étaient réglées) : plus de gays pouvaient enfin goûter « aux joies de la libération sexuelle », à condition qu'ils aient accès à ce milieu commercial. Ainsi des personnalités du commerce gay, comme David Girard, ont été les emblèmes visibles de l'homosexualité à l'époque, les organisateurs des Gay pride...

Au cours de ces mêmes années l'épidémie de sida commença à frapper la communauté et à se développer, annonçant un terrible recul : la mort de milliers de pédés et un retour marquant de leur stigmatisation.

Devant l'irresponsabilité des pouvoirs publics, des associations de lutte contre le sida (Arcat sida, Aides) puis une association communautaire, Act-up virent le jour. Jusqu'au milieu des années 90, le sida occupa l'espace gay de façon majeure : aussi bien en terme politique endo-communautaire (les associations de lutte contre le sida étaient les plus présentes) qu'en terme de visibilité publique.

Né d'une revendication liée au VIH, le CUS, CUCS, PACS... marqua le retour d'une autre scène politique gay et lesbienne axée sur l'égalité des droits. Il amorça de même en terme de visibilité un net changement : la visibilité croissante des gays et des lesbiennes, dans les universités, lieux de travail et dans les médias, apparaissant soit comme des gens normaux (couples , familles...intégration) soit comme d' exotiques « aficionados » de la fête.

Ce changement accentua de même le développement de la scène gay commerciale.

Ainsi le milieu gay (milieu gay = milieu commercial, à partir de maintenant dans le texte, ndlr) devient une étape indispensable à la socialisation des homosexuels.

Cette évolution marque au niveau des modes de vies (mode, corps, sexualité) la mise en place d'un modèle omniprésent de « gay, blanc, parisien, de classe moyenne qui consomme dans le marais ». Et même ceux qui ne correspondent pas à ce modèle tentent d'y ressembler.

Ainsi une identité gay très définie s'est développée.

Cette visibilité est marchandisée dans le sens où elle est intimement liée à un commerce, et devient même à présent une cible marketing.

Le mode de vie gay a été comme domestiqué par une scène commerciale développant ainsi de nombreuses illusions :

- Illusion d'une communauté à l'heure où aucun sentiment collectif d'appartenance à une communauté n'existe réellement, ni en terme politique, ni en terme de solidarité quotidienne.

- Illusion d'avancée politique : une visibilité enfermée dans les fenêtres de tolérance fixées par la clémence des pouvoirs politiques et moraux qui concèdent une petite place aux gays et aux lesbiennes dans la mesure où ils ne remettent en rien en cause l'hétéronorme. Ainsi on les veut « comme tout le monde ». On leur concède des petites excentricités dans le cadre d'un milieu gay bien défini, en clair « il y a des lieux pour ça ».

Mais les choses ne sont pourtant pas si simples, parce que les modes de vies pédés, bien que aseptisés, commercialisés... restent gênants.

C'est sans doute pour cette raison que le milieu gay, outre qu'il correspond pour beaucoup d'entre nous au seul lieu dans lequel nous avons la sensation (certes illusoire mais un peu quand même) d'échapper aux violences homophobes, a pu apparaître comme une forme de résistance.

Et c'est là toute l'ambiguïté d'un milieu qui, d'un côté, permet de s'extraire de la morale dominante, et, d'un autre, est rattrapé par la domination de l'économie libérale, qui ne permet pas de se soustraire aux inégalité sociales.

Ainsi, peut-être que notre projet serait non pas de rester dans une critique du milieu gay, mais de développer l'idée d'une communauté basée sur l'identité pédégouine, nos modes de vies et notre rejet des modes de vies imposés par l'hétérosexualité obligatoire, sans faire l'économie d'une critique de l'illusion de la « libération par le fric ». Parce que le fond du problème reste que tant qu'il n'y a pas de remise en cause du fonctionnement économique libéral, les oppressions et inégalités qu'il impose déteignent nécessairement.

Lorsque nous utilisons et valorisons le néologisme « transpédégouine »,   nous exprimons une aspiration à briser l'assignation à la dualité des sexes, la rigidité du genre et l'hétérrorisme. Nous préférons une fluidité du genre (donc l'abolition du genre ?) dans laquelle chaque personne peut se déplacer à son gré, ainsi qu'une sexualité libérée de toute idée morale préconçue, adaptée à chacune, dans le respect de soi et des autres.

Nous étions d'abord des homosexuel-le-s, une case de l'ordre médical, des malades finalement. Puis nous sommes devenus des gays et des lesbiennes, heure où les trans restaient encore dans la médecine. Les gays s'y sont enfermés, se sont faits ratrapper par la marché et ont peu réagi, dans l'illusion parfois d'une intégration possible. L'histoire récente des lesbiennes reste à écrire...

Puis une identité ouverte se propose, celle de transpédégouine, mélange de cultures et de genres, qui nous parait indispensable pour aller vers un principe politique de communauté.

Néanmoins, nous ne faisons pas l'économie des oppressions liées au sexisme, et nous reconnaissons que les gouines et les trans vivent d'autres réalités que les pédés, parce que les oppressions se cumulent. La lesbophobie et la transphobie sont des mécanismes spécifiques, différents de l'homophobie.

Pourtant, comme les autres actrices politiques de la communauté, nous avons encore du mal à formuler et identifier précisément et utilement ces mécanismes spécifiques. Nous subissons en cela l'invisibilité que la société impose aux lesbiennes et la négation de la question trans. Nous travaillons à dépasser cette incapacité.

Enfin, nous devons préciser pour conclure ce paragraphe que la récupération de la libération sexuelle par le marché ne concerne pas uniquement les pédés. Les hétérosexuel-le-s aussi ont vu de nouvelles sources de profits les assaillir : l'explosion de films pornographiques en est une bonne illustration. Et là, l'uniformisation de la production n'est pas en faveur d'une libération de la sexualité, mais bien d'une image monochrome, violent relais du sexisme.

6. Un front essentiel

Nous avons vu que l'ordre moral est l'un des mécanismes de domination et participe donc de ce monde qui tourne contre nous.

Il détourne la violence sociale de tout un chacun contre des boucs-émissaire au lieu de la destiner aux sources de sa colère.

C'est un outil indispensable pour nous faire accepter les façons de produire et de consommer qui nous sont imposées.

C'est l'un des fronts où les attaques sont les plus constantes : remise en cause régulière des droits à l'avortement et à la contraception par exemple.

C'est l'une des oppressions les plus intégrées ("il est naturel de...") et la mieux transmise : éducation privée (famille) et publique, relais médiatique (cf. campagne anti-pornographie).

Le combat contre les fausses évidences est potentiellement libérateur pour chacun-e, c'est pourquoi il y a tant d'acharnement à renforcer sans cesse l'ordre moral.

Ce front est central dans une lutte pour un monde différent, plus égalitaire, plus beau. Mais en aucune façon l'ordre moral ne tombera tout seul, même si le système économique change. C'est un combat en soi, intimement lié aux luttes de libération des femmes et des luttes des transpédégouines.

7. Résister

A cause de l'enchevêtrement idéologique dont nous sommes victimes dans ce domaine, ce sont les principaux concernés par la violence générée par l'ordre moral qui sont les plus à même d'identifier les attaques dont ils sont la cible. La construction de pôles de résistance communautaires est donc indispensable. Nous devons construire nos structures propres en tant que transpédégouines et les rendre fortes.

Mais cette lutte est aussi à l'intersection des autres combats auquel nous devons nous lier. Cela signifie que nous devons développer des solidarités avec les autres luttes, nous coordonner et être pris en compte sur les autres terrains. Mais ce n'est pas aussi évident qu'il peut y paraître.

Nos structures sont encore faibles, c'est à dire que nous ne sommes pas en capacité d'imposer la prise en compte de nos revendications par le mouvement social. On nous oublie trop souvent et lorsqu'on arrive à imposer notre présence, l'accueil se fait souvent par un vote unanime ou une intégration en bloc et sans discussion de nos revendications afin de se débarrasser d'une question subalterne qui, si elle ne fâche plus, peut encore gêner pas mal de monde.

Nous devons donc à la fois construire un mouvement autonome et imposer une présence constante dans les mouvements sociaux.

8. Plusieurs constats, des apports particuliers

Nous nous inscrivons dans la construction d'une alternative politique qui doit notamment s'opposer à la montée du fascisme. Cela passe par la re-création d'un collectif pensant qui contribue à la rénovation d'une pensée en panne. Nous incitons à remettre en question les évidences, à expérimenter... De ce point de vue, nos expériences intimes et continues de l'invisibilité, de la négation, etc. nous ont appris à pratiquer ce genre d'exercice, parce que c'est vital pour nous qui "avons quitté la normalité en claquant la porte".

Nous ne sommes pas résignées et nous voulons créer de l'utopie ("un autre monde est possible"). Nos pratiques nous ont habitué à faire des choses réputées "impossibles" : transgression des sexes, travestissement, etc.

Notre remise en cause des politiques antisociales nous obligent à imaginer d'autres solutions : comment faire autrement que le sexisme, la répression des immigré-e-s, etc.

Nous constatons que les luttes du mouvement social sont juxtaposées, nous proposons de les mélanger. D'autant plus que les oppressions sont liées : une femme qui travaille est exploitée en tant que travailleuse, et encore plus parce qu'elle est femme ; un immigré clandestin n'a aucun droit et peut participer pour un moindre coût à la production du 1er monde...

La dialectique entre économie et oppression s'appuie sur la séparation public-privé : aborder les questions "privées" d'un point de vue public et collectif positive le projet politique. Mais l'opposition privé-public ne doit pas être confondue avec l'alternative "liberté individuelle" - "assignation à un comportement même s'il est décidé collectivement".

Enfin, les résistances du mouvement social n'interrogent pas assez les formes d'action et utilisent des mécanismes macho-hétéro-etc (dans les prises de parole, les cortèges des manifestation, en particulier). Un changement de posture dans les façons d'agir et de débattre est aussi indispensable pour changer réellement le fond.